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Seconde vie

Je remercie très chaleureusement mon amie Alexandra qui décidément ne se trompe jamais dans ses choix !

Eh bien dansons maintenant !, Karine Lambert

9782709656641-001-x_0Marguerite, 78 ans, viens de perdre son époux Henri après 55 ans et 17 jours d’une vie commune ennuyeuse à mourir. Marguerite, restée corsetée toutes ces années dans l’ombre de ce notaire aussi débordant de vie qu’une horloge arrêtée, n’a jamais eu le bonheur de vivre et d’aimer pleinement. Bien sûr, elle a eu un fils, Frédéric, mais Henri l’a envoyé en pension dès l’âge de 6 ans et le petit, en grandissant, est devenu aussi rigide que son géniteur. Alors qu’elle devrait, selon toute convenance, pleurer son mari, Marguerite se sent étrangement libérée et éprise de liberté en même temps que complètement perdue de se retrouver seule. Et c’est étonnée de ce soudain désir d’émancipation qu’elle accepte la proposition de son médecin qui veut l’envoyer en cure dans les Pyrénées.

Marcel a vécu le grand amour avec une amie d’enfance. Tous les deux, ils ont mené une vie enjouée qui sur fond de la musique chaâbi qui a bercé leur enfance en Algérie. Mais depuis un an, depuis le décès de Nora qui était tout pour lui, le retraité est complètement anéanti. Il passe ses journées à déprimer et les doux moments passés avec sa femme jusqu’au jour où il a appris sa mort. Sa fille décide de lui offrir une thalassothérapie afin de lui remonter le moral. Marcel refuse catégoriquement. Il finira tout de même par troquer le cadeau contre une cure…

Vous l’aurez compris, Marguerite et Marcel vont finir par se rencontrer. Et ces deux êtres que tout semblait opposer – elle si réservée, lui extraverti – vont peu à peu se rapprocher. Alors qu’ils sont au crépuscule de leur vie, laisseront-ils leurs sentiments prendre le dessus et retrouver la joie et l’insouciance de l’amour ?

Inutile dire que j’ai adoré ! Je ne suis pourtant pas fan des romans à l’eau de rose mais cette histoire d’amour naissant entre deux personnes âgées, destinées ou presque après leur veuvage de rester seules à attendre la mort, m’a vraiment plu. L’intrigue est traitée avec justesse et finesse, tout en retenue par l’auteure de L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes. Et surtout, il s’agit d’un roman bourré d’humour. Karine Lambert va loin dans la caricature du notaire étriqué qui oblige sa femme à le vouvoyer et dans celle de son fils qui, en digne héritier, veut continuer à régenter la vie de sa mère la croyant incapable de mener une existence autonome et épanouie après la mort de son mari.

La romancière s’amuse des clichés, de ces deux vieux se retrouvant dans une cure avec d’autres vieux alors qu’ils ne se trouvent pas si vieux, de leurs enfants qui se comportent comme s’ils étaient les parents d’adolescents, terrifiés de les savoir monter dans la voiture d’un inconnu pour fuguer en bord de mer. On sourit et on rit de situations plus que cocasses. Mais malgré l’humour omniprésent, nous sommes touchés, émus par les sentiments naissants entre ces deux êtres qui se sentent au bout de leur vie. Deux êtres que le temps cherche à séparer. Deux êtres épris d’un amour rendu quasi impossible non seulement par ce temps dévorant mais aussi par le regard de la société qui n’admet pas qu’après la mort, une seconde vie est possible. Un regard presque méprisant d’une société vis-à-vis d’un troisième et quatrième âge déconsidérés alors que ces personnes ont encore tant de choses à vivre.

 

Roman

Une sacré grand-mère !

Dire que nous sommes au lendemain de la fête des grands-mères et que je ne l’ai même pas fait exprès !

La grand-mère de Jade, Frédérique Deghelt

Jade, 30 ans, journaliste à Paris, vit à cent à l’heure. Mais quand elle apprend que ses tantes veulent envoyer sa grand-mère, celle qu’elle surnomme affectueusement sa Mamoune, en maison de retraite, elle trouve le temps de partir la chercher en Savoie et de l' »enlever ». La vieille dame de 80 ans va donc s’installer dans le petit appartement parisien et partager la vie de sa petite-fille. Evidemment, cette cohabitation va se révéler un bouleversement pour l’une et l’autre femme. Mais n’est pas la plus déstabilisée celle que l’on croit…

Jade, au fur et à mesure de ses longues discussions avec sa Mamoune, va en effet découvrir tout un pan de sa vie qu’elle ne soupçonnait pas. Sa grand-mère lui révèle, alors qu’elle apprend que Jade vient de rédiger un roman déjà refusé par quelques maisons d’édition, qu’elle est une grande lectrice. Pour la jeune femme, il s’agit d’une vraie découverte puisqu’elle ne l’a jamais vu avec un autre livre que la Bible entre les mains. Dès lors, lui laisser son manuscrit en relecture ne lui semble plus si incongru. Peut-être que la bienveillante octogénaire pourrait réellement lui apporter l’aide nécessaire à l’amélioration de son texte.

Voilà un roman qui sort des sentiers battus avec ce thème peu fréquent du « choc » des générations. L’auteur aborde les thèmes de la vieillesse et de la dépendance avec beaucoup de finesse mais sans angélisme non plus. Tantôt dans projeté dans l’esprit de la grand-mère, tantôt dans celui de Jade, on assiste aux questionnements multiples des deux femmes sur le rapport à l’âge, à la vie, à la mort mais aussi à l’amour. Au début, l’une et l’autre ne cessent de s’inquiéter sur les meilleures façons de réagir, de ne pas se brusquer ou bouleverser trop profondément leur quotidien. Mais bientôt, les deux femmes se révèlent telles qu’elles sont, laissent de côté les quelques préjugés ou craintes qu’elles pouvaient avoir et finissent par former un couple complémentaire. Chacune va très vite réaliser qu’elle a énormément à apprendre de l’autre. Alors que Jade apprend à Mamoune à se servir d’un ordinateur et d’Internet, cette dernière lui confectionne des rideaux et ne ménage pas ses critiques pour peaufiner le roman. Raconté comme cela, ça peut paraître cliché mais ce ne l’est jamais. Le contact de la jeune femme va amener la grand-mère à se sentir revivre et à s’assurer qu’elle est, peut-être plus que jamais d’ailleurs, une femme libre de ses paroles et ses actes (la mamie va même redécouvrir les palpitations des premiers émois et se comporter en midinette cachottière)

Outre la question de la transmission inter-générationnelle et du troisième voire quatrième âge, le roman offre une réflexion profonde sur l’acte de lire. En quoi la lecture peut-elle changer une vie ou, du moins, l’influencer ? La vieille dame, qui a lu toute sa vie en cachette parce que cette activité était mal vue, synonyme dilettantisme dans le monde paysan, va apporter une réponse plus que détailler tout au long du roman tout en interrogeant aussi l’acte d’écrire, intrinsèquement lié sans doute à la lecture.

Mon seul reproche sur ce roman est d’ordre formel. Je trouve l’emploi du monologue intérieur et du discours indirect libre un peu trop superficiel voire lourd parfois. De vrais dialogues auraient sans doute permis de rendre tout aussi bien les propos tout en apportant un peu de pep’s à l’ensemble qui reste très lent. La fin, dont je ne dirai rien, est par contre assez réussie. Un agréable moment de lecture avec ce roman qui a remporté les prix Solidarité et Chronos en 2010.