Je remercie vivement l’amie qui m’a prêté ce livre génial !
La conjuration des imbéciles, John Kennedy Toole
Ignatius Reilly, obèse trentenaire possédant une très haute estime de ses capacités intellectuelles, passe la plupart de son temps allongé dans son lit sale à recouvrir des cahiers de pensées à l’encontre du monde moderne entre deux flatulences. Sa mère, alcoolique, chez laquelle il réside, aimerait beaucoup qu’il trouve enfin un travail pour subvenir à ses besoins, d’autant qu’elle vient de contracter une dette importante suite à un accident de voiture des plus improbables. Depuis toujours, Ignatius s’est refusé à s’abaisser à chercher un emploi, d’autant qu’il est persuadé qu’une quelconque activité serait des plus nuisibles à sa santé fragile, notamment en raison d’importants problèmes d’anneau pylorique qui se ferme à la simple évocation du mot travail !
Bien malgré lui, notre ami va donc être contraint de trouver un employeur. A partir de là, tout va se détraquer. Il va déjà se faire embaucher chez les Pantalons Levy, usine de textile en déclin, dirigée par M. Gonzales, bien gentil mais parfaitement crétin, assisté par Miss Trixie, une vieille secrétaire aussi aigrie que dérangée qui n’attend qu’une chose : qu’on la mette enfin à la retraite ! Après avoir tenté de retourner tous les employés contre leur patron, Ignatius est mis à la porte. Il trouve alors un improbable poste de vendeur de saucisses ambulant et doit se déguiser en pirate pour attirer de potentiels clients qu’il fait inexorablement fuir… Evidemment, il avale plus de hot-dogs qu’il n’en vend. Et tout ne va plus aller que de mal en pis pour lui, à commencer par son anneau pylorique !
Dans le même temps, l’agent Mancuso est à la recherche d’un individu louche. Mais comme il ne parvient pas à mettre la main dessus, son supérieur le rétrograde en lui ordonnant de revêtir chaque jour un costume plus ridicule que le précédant (style tutu rose !) pour mieux se fondre dans la population. Forcément, ça ne marche pas – Mancuso n’arrête que des innocents voire se fait interpeller par des confrères à cause de son accoutrement – et notre policier se retrouve à faire le planton dans les toilettes de la gare.
J’arrête là pour le résumé car je pourrais en écrire des pages et des pages tant ce livre est foisonnant de personnages tous plus délirants les uns que les autres (je passe la gérante de bar perverse, la danseuse idiote, le concierge noir, Mme Levy, Myrna Minkoff, la seule véritable amie d’Ignatius qui pense que seul le sexe pourrait l’aider à se sortir de ce bourbier, et bien d’autres cinglés en tout genre !). Les intrigues s’entremêlent mais finissent toutes par se rejoindre dans un magnifique cafouillis grand-guignolesque.
Je ne vais pas y aller par quatre chemins : il s’agit sans doute de la meilleure comédie qu’il m’ait été donnée de lire jusqu’à ce jour ! Le simple décalage entre les niveaux de langue (particulièrement châtié pour Ignatius et très familier pour tous les autres personnages issus des basses couches sociales de la Nouvelle-Orléans – ambiance de la ville rendue à la perfection soit dit en passant !) est à mourir de rire ! On suit ce pauvre hère d’Ignatius qui a tout pour déplaire – horriblement laid, puant au sens propre comme au sens figuré, intellectuel méprisant, seul contre tout et tous – avec une fascination sans bornes tant son potentiel comique est hors-norme. Hors-norme, voilà bien ce qui définit le mieux ce roman aussi génial qu’inclassable. Et dire que son auteur s’est suicidé à l’âge de 32 ans alors qu’il se croyait un écrivain raté et que le livre édité 11 ans plus tard grâce à sa mère a été récompensé par le prix Pulitzer un an après sa parution ! Quelle ironie du sort ! Surtout quand on lit la phrase de Swift qu’avait placée l’auteur en exergue de son oeuvre : « Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaitre à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui. » Une pépite ! Ce roman rentre indéniablement dans mon top ten !
Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer un petit extrait (le livre fait presque 500 pages en caractères minuscules…). il s’agit de l’accident de voiture qui va impliquer bien des soucis à notre cher Ignatius par la suite…
« Je crois bien que tu as entièrement démoli la petite auto que quelqu’un a imprudemment garée derrière ce mastodonte. Tu as intérêt à quitter cet endroit avant le retour de son propriétaire.
– Tais-toi, Ignatius, tu m’énerves ! dit Mme Reilly avec un coup d’oeil à la casquette de chasse dans le rétroviseur.
Ignatius se redressa sur son siège et regarda par la lunette arrière.
– Cette malheureuse auto est une épave. Ton permis de conduire, si tant est que tu en possèdes vraiment un, sera immanquablement suspendu. Et ce sera justice, je n’y peux rien.
– Allonge-toi et fais un petit somme, dit sa mère tandis que l’auto bondissait de nouveau vers l’arrière.
Tu crois sincèrement que je pourrais dormir ? Je crains pour ma vie. Tu es sûre que tu tournes le volant dans le bon sens ?
Brusquement, la voiture bondit hors du créneau, dérapa en travers de la chaussée mouillée et alla heurter un pilier qui soutenait un balcon de fer forgé. Le pilier s’abattit de côté et l’auto s’écrasa contre le bâtiment.
– Oh, mon Dieu ! hurla Ignatius à l’arrière. Mais qu’as-tu fait, voyons ?
– Vite, un prêtre.
– je ne crois pas que nous soyons blessés, maman. Mais tu m’as mis l’estomac sens dessus dessous pour les quelques jours à venir.
Ignatius baissa la vitre d’une portière arrière et examina l’aile encastrée dans le mur.
– J’imagine qu’il va nous falloir un nouveau phare de ce côté.
– Qu’est-ce qu’on va faire?
– Si je conduisais, je passerais gracieusement la marche arrière et je m’éloignerais discrètement. tu peux être assurée qu’il va y avoir des poursuites. Le gens qui possèdent cette ruine branlante devaient attendre cette occasion depuis des années et des années. Je ne serais pas étonné d’apprendre qu’ils répandaient chaque soir de la graisse sur la chaussée dans l’espoir du passage d’un automobiliste tel que toi.
Il rota.
– Ma digestion est compromise. je crois que je suis en train d’enfler ! «