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Sans voix

La rentrée littéraire 2019 s’annonce excellente. Je ne cache en tout cas pas mon plaisir de vous faire découvrir ce jeune et talentueux auteur mexicain. Parution de ce roman aux éditions Les Escales ce 29 août.

Les Mutations, Jorge Comensal

cvt_les-mutations_8163Ramón, cinquante ans, est un avocat reconnu et respecté. Un jour, alors qu’il fête la victoire d’un procès avec un client, il est pris d’une violente douleur à la bouche et ne peut quasiment plus parler. Bientôt, il apprend qu’il souffre d’une forme rare de cancer. La seule solution qui s’offre à lui est l’amputation de la langue. Plus qu’un attribut essentiel à la communication, Ramón va perdre son outil de travail et, avec lui, une partie de sa virilité. Afin qu’il ne sombre pas totalement dans la dépression, sa femme le convainc de prendre rendez-vous avec Teresa, une psychanalyste spécialisée dans les patients atteints de cancers et grande amatrice de cannabis thérapeutique. Sa femme de ménage, quant à elle, lui offre un perroquet pour lui tenir compagnie. L’ex-avocat se lie très vite à cet animal peu banal qui hurle des grossièretés à longueur de temps. Pendant ce temps, Aldama, le médecin en charge du cas de Ramón, est persuadé d’atteindre une renommée internationale s’il parvient à mener à bien ses recherches quant à ce cancer atypique.

J’ai pris énormément de plaisir à lire ce roman qui mêle savamment comédie et tragédie. En tant que grande amatrice d’humour noir, je ne pas été déçue, notamment par les interventions de Ramón, qui ne peu plus s’exprimer autrement par écrit ou en pensées. Pensées qui, n’étant plus passées au filtre du langage, deviennent de plus en plus tranchantes. J’ai apprécié l’effet révélateur de cette tumeur, de cette cellule infiniment petit qui va chambouler non seulement la vie du protagoniste mais aussi celle de son entourage et de ses soignants. Une fois sa capacité langagière perdue, le masque du langage disparu, Ramón va se trouver complètement bouleversé et se rapprocher comme jamais de celui qu’il est véritablement. L’écriture rythmée, vivante et moderne nous éloigne totalement du pathos. Aucune froideur non plus, les personnages sont attachants et drôles même dans la douleur. L’auteur parvient donc avec ce qui semble être une facilité déconcertante à traiter d’un sujet grave avec un humour décapant. J’adore le coup du perroquet grossier qui résume bien souvent ce que pense notre protagoniste. Alors oui, il faut aimer le côté cynique. Mais pour ma part j’adore ça ! Certains diront sans doute que rire du cancer n’est pas approprié, que ce n’est pas respecter ceux qui en souffrent et en meurent. Ce n’est pas le cas. En accompagnant notre avocat dans sa maladie, l’auteur nous offre surtout une réflexion sur la vie et l’importance d’en profiter sans se la gâcher par un quotidien souvent absurde. Coup de cœur de la rentrée !

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Cœur brisé

Je remercie vivement Camille pour m’avoir conseillé et prêté ce livre.

Haute Fidélité, Nick Hornby

Rob Fleming a 35 ans et est le propriétaire d’un magasin de musique dans lequel les clients se font plus que rares. Sa vie sentimentale est aussi calamiteuse que son parcours professionnel. Il vient de connaître une énième rupture et dresse un bilan assez sinistre de sa vie, à commencer par ses cinq plus gros échecs amoureux. Evidemment, cela n’est pas fait pour lui remonter le moral.

Alors qu’il tente en vain d’oublier Laura, son dernier amour qui a fui avec le voisin du dessus, Rob se torture l’esprit avec des questions du style : peut-on sérieusement envisager de vivre avec quelqu’un dont les goût musicaux sont parfaitement incompatibles avec les vôtres ? arrivé à son âge, ne devrait-il pas songer à fonder une famille, trouver un travail sérieux et cesser de cloisonner son existence en termes de top cinq ?

Excellent ! J’ai adoré suivre le cheminement intellectuel de ce trentenaire complètement paumé. Parfait anti-héros, il représente tout à fait les hommes – et femmes – de sa génération. En véritable « adulescent », Rob n’a toujours n’a toujours pas fait le grand saut dans le monde des adultes. Son métier de disquaire spécialisé et ses vendeurs encore plus enfants que lui le maintiennent dans un statut d’éternel ado, qui préfère passer son temps à écouter des vinyles au sein de son antre (d’ailleurs, sacrée playlist constituée dans le roman. J’avoue ne pas être allée rechercher tous les titres sur le net car je n’aurais jamais terminé ma lecture !) qu’à véritablement vivre sa vie et se confronter au monde réel. D’ailleurs, après sa rupture avec Laura, le monde n’est plus que ressassement du passé et tentatives échouées de convoquer ce passé dans le présent. Toute la question est : Rob parviendra-t-il à évoluer et, si oui, de quelle manière ? je vous le laisse découvrir en lisant ce roman à la fois tragique et comique, devenu un véritable best-seller depuis sa parution en 1995 en Angleterre. Il a d’ailleurs fait l’objet d’une adaptation cinématographique par Stephen Frears avec John Cusack comme acteur principal.

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Histoire de dingues !

Je remercie vivement l’amie qui m’a prêté ce livre génial !

La conjuration des imbéciles, John Kennedy Toole

Ignatius Reilly, obèse trentenaire possédant une très haute estime de ses capacités intellectuelles, passe la plupart de son temps allongé dans son lit sale à recouvrir des cahiers de pensées à l’encontre du monde moderne entre deux flatulences. Sa mère, alcoolique, chez laquelle il réside, aimerait beaucoup qu’il trouve enfin un travail pour subvenir à ses besoins, d’autant qu’elle vient de contracter une dette importante suite à un accident de voiture des plus improbables. Depuis toujours, Ignatius s’est refusé à s’abaisser à chercher un emploi, d’autant qu’il est persuadé qu’une quelconque activité serait des plus nuisibles à sa santé fragile, notamment en raison d’importants problèmes d’anneau pylorique qui se ferme à la simple évocation du mot travail !

Bien malgré lui, notre ami va donc être contraint de trouver un employeur. A partir de là, tout va se détraquer. Il va déjà se faire embaucher chez les Pantalons Levy, usine de textile en déclin, dirigée par M. Gonzales, bien gentil mais parfaitement crétin, assisté par Miss Trixie, une vieille secrétaire aussi aigrie que dérangée qui n’attend qu’une chose : qu’on la mette enfin à la retraite ! Après avoir tenté de retourner tous les employés contre leur patron, Ignatius est mis à la porte. Il trouve alors un improbable poste de vendeur de saucisses ambulant et doit se déguiser en pirate pour attirer de potentiels clients qu’il fait inexorablement fuir… Evidemment, il avale plus de hot-dogs qu’il n’en vend. Et tout ne va plus aller que de mal en pis pour lui, à commencer par son anneau pylorique !

Dans le même temps, l’agent Mancuso est à la recherche d’un individu louche. Mais comme il ne parvient pas à mettre la main dessus, son supérieur le rétrograde en lui ordonnant de revêtir chaque jour un costume plus ridicule que le précédant (style tutu rose !) pour mieux se fondre dans la population. Forcément, ça ne marche pas – Mancuso n’arrête que des innocents voire se fait interpeller par des confrères à cause de son accoutrement – et notre policier se retrouve à faire le planton dans les toilettes de la gare.

J’arrête là pour le résumé car je pourrais en écrire des pages et des pages tant ce livre est foisonnant de personnages tous plus délirants les uns que les autres (je passe la gérante de bar perverse, la danseuse idiote, le concierge noir, Mme Levy, Myrna Minkoff, la seule véritable amie d’Ignatius qui pense que seul le sexe pourrait l’aider à se sortir de ce bourbier, et bien d’autres cinglés en tout genre !). Les intrigues s’entremêlent mais finissent toutes par se rejoindre dans un magnifique cafouillis grand-guignolesque.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : il s’agit sans doute de la meilleure comédie qu’il m’ait été donnée de lire jusqu’à ce jour ! Le simple décalage entre les niveaux de langue (particulièrement châtié pour Ignatius et très familier pour tous les autres personnages issus des basses couches sociales de la Nouvelle-Orléans – ambiance de la ville rendue à la perfection soit dit en passant !) est à mourir de rire ! On suit ce pauvre hère d’Ignatius qui a tout pour déplaire – horriblement laid, puant au sens propre comme au sens figuré, intellectuel méprisant, seul contre tout et tous – avec une fascination sans bornes tant son potentiel comique est hors-norme. Hors-norme, voilà bien ce qui définit le mieux ce roman aussi génial qu’inclassable. Et dire que son auteur s’est suicidé à l’âge de 32 ans alors qu’il se croyait un écrivain raté et que le livre édité 11 ans plus tard grâce à sa mère a été récompensé par le prix Pulitzer un an après sa parution ! Quelle ironie du sort ! Surtout quand on lit la phrase de Swift qu’avait placée l’auteur en exergue de son oeuvre : « Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaitre à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui. » Une pépite ! Ce roman rentre indéniablement dans mon top ten !

Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer un petit extrait (le livre fait presque 500 pages en caractères minuscules…). il s’agit de l’accident de voiture qui va impliquer bien des soucis à notre cher Ignatius par la suite…

« Je crois bien que tu as entièrement démoli la petite auto que quelqu’un a imprudemment garée derrière ce mastodonte. Tu as intérêt à quitter cet endroit avant le retour de son propriétaire.

– Tais-toi, Ignatius, tu m’énerves ! dit Mme Reilly avec un coup d’oeil à la casquette de chasse dans le rétroviseur.

Ignatius se redressa sur son siège et regarda par la lunette arrière.

– Cette malheureuse auto est une épave. Ton permis de conduire, si tant est que tu en possèdes vraiment un, sera immanquablement suspendu. Et ce sera justice, je n’y peux rien.

– Allonge-toi et fais un petit somme, dit sa mère tandis que l’auto bondissait de nouveau vers l’arrière.

Tu crois sincèrement que je pourrais dormir ? Je crains pour ma vie. Tu es sûre que tu tournes le volant dans le bon sens ?

Brusquement, la voiture bondit hors du créneau, dérapa en travers de la chaussée mouillée et alla heurter un pilier qui soutenait un balcon de fer forgé. Le pilier s’abattit de côté et l’auto s’écrasa contre le bâtiment.

– Oh, mon Dieu ! hurla Ignatius à l’arrière. Mais qu’as-tu fait, voyons ?

– Vite, un prêtre.

– je ne crois pas que nous soyons blessés, maman. Mais tu m’as mis l’estomac sens dessus dessous pour les quelques jours à venir.

Ignatius baissa la vitre d’une portière arrière et examina l’aile encastrée dans le mur.

– J’imagine qu’il va nous falloir un nouveau phare de ce côté.

– Qu’est-ce qu’on va faire?

– Si je conduisais, je passerais gracieusement la marche arrière et je m’éloignerais discrètement. tu peux être assurée qu’il va y avoir des poursuites. Le gens qui possèdent cette ruine branlante devaient attendre cette occasion depuis des années et des années. Je ne serais pas étonné d’apprendre qu’ils répandaient chaque soir de la graisse sur la chaussée dans l’espoir du passage d’un automobiliste tel que toi.

Il rota.

– Ma digestion est compromise. je crois que je suis en train d’enfler ! «