C’est avec un grand plaisir que je peux vous faire découvrir aujourd’hui le dernier ouvrage de Françoise Guérin (autrice que j’ai découvert récemment par le biais de son excellent polar On noie bien les petits chats). Il s’agit d’un recueil de dix-neuf nouvelles paru tout récemment aux éditions Zonaires.
Les défilés du désir, Françoise Guérin
Voilà un petit moment que je n’ai pas chroniqué de recueil de nouvelles même si j’en ai lu un très bon cet hiver (Ce que nous cache la lumière de Tim Gautreaux – éditions du Seuil) pour lequel je n’ai pas rédigé d’article par manque de temps. Je suis très heureuse de vous présenter celui-ci qui a pour thème un sujet qui m’est cher : l’enfance.
« Toi, comme chaque fois, tu es venue seule. Car à l’heure des auditions, ta mère tient la caisse d’une supérette et ton père récupère de sa nuit de vigile. RER puis bus poussif et course à pied le long du boulevard, tes partitions en vrac dans ton cartable, les miettes de ton goûter incrustées dans ton chandail. Tu transpires, tu sens la zone. Et tu as les mains sales. Tu as beau les savonner, elles ne ressemblent jamais à celles de Nathalie. Est-ce que, dans ta banlieue, l’eau lave moins propre ? C’est un mystère. Tout à l’heure, quand tu les poseras sur le piano, tu ne verras que ça. Tes mains sombres, tes ongles douteux. Quand d’autres suivent la partition, tu regardent tes paluches de pauvre qui souillent le clavier. Tu fais tache. Tu es une tache dans un monde immaculé où tu débarques. Fautive. Chaque jupe plissée semble crier que tu n’es pas à ta place. » (« L’Audition »)
Quand nous portons notre regard d’adulte sur l’enfance, nous pouvons regretter une certaine insouciance. Les textes que vous lirez dans ce recueil n’offrent pourtant pas une vision idyllique de cette temporalité lointaine mais toujours bien présente quelque part en nous, quel que soit notre âge. L’autrice explore des instants de vie d’enfants ordinaires et ceux d’adultes qui ont été des enfants.
Derrière les sourires de l’enfance se cachent parfois des peines insondables ou des désirs que nul adulte ne saurait imaginer. Des traumas qui viendront se faufiler dans un recoin de l’esprit, se dissimulant jusqu’à réapparaître une fois adulte, douleurs étouffées par les années rejaillissant parfois au détour d’une rue.
J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ces nouvelles d’enfance chaque matin en prenant mon petit déjeuner. Mes deux enfants en bas-âge me laissant peu de temps pour lire, le format était parfait. Moment de douceur en savourant les plaisirs sucrés matinaux, moment de la journée que j’ai toujours adoré. C’était donc parfait. On retrouve dans ces nouvelles le style de l’autrice avec l’utilisation de la deuxième personne et cette impression que le texte nous est directement adressé. Texte saisissant, aux phrases courtes, brutales. L’art du genre est respecté. Economie de lieu, de personnage et de temps. Et la chute. Celle de la toute première nouvelle, « Couleur abricot », est à mon sens la meilleure. Si j’ai mes préférences comme celle-ci ou encore « Quelqu’un », « L’audition » ou « C’est mercredi », toutes sont réussies, ce qui n’est pas chose aisée. Les sujets sont variés et plus qu’un regard sur l’enfance, c’est un regard sur le monde, la société et sur l’humanité qui est porté. Coup de cœur !